Palo Alto, Ville-Sommet Poem by Marcel Aouizerate

Palo Alto, Ville-Sommet

Emmanuel me faisait remarquer qu'en Août 2013, le conseil général de Palo Alto fit voter, à sept voix contre deux, une nouvelle loi interdisant de dormir dans son véhicule, la dernière d'une longue série qui vise à rendre illégaux les SDFs dans l'enceinte de la ville. Molière avait écrit une pièce dont le personnage principal vivait de sa duplicité, il nous faisait la charité d'imaginer que la troupe fut différente du héros; Palo Alto aura dissipé l'illusion, il est possible pour une ville d'être peuplée de Tartuffes - je ne me retranche pas du cercle des hypocrites - et de s'en porter pour le mieux. Car pour une communauté qui passe son clair à afficher sa compassion bavarde - à tel point qu'elle imagine cette distraction commode à la concentration des richesses - le choix de laisser sur ses bords les éléments les plus hétérogènes témoigne d'un solipsisme fébrile.

J'en étais là quand je me suis souvenu de ce concept que l'on trouve dans le livre de Josué, et qui permet de mesurer la distance qui nous dépossède de la respiration de l'imprévu comme de l'intelligence du doute (les Russes, connus pour leur optimiste, ont un proverbe qui enjoint de ne pas croire que l'on 'ne dormira jamais ni en prison ni sous les ponts') . Dans le premier livre des Prophètes, Dieu exige la création de villes refuges où le fugitif puisse demander protection. Le texte parle surtout de rompre le cycle de la violence mimétique en accordant le refuge à celui qui aurait tué par maladresse ou volé par nécessité; ne peut-on pas aussi penser que la pauvreté dans laquelle s'enfonce chaque année un peu plus les franges basses des classes moyennes (je lis qu'aux Etats Unis,40% des salariés gagnent moins que le salaire minimum prévalant en 1968) soit vécue comme une injuste et circulaire cruauté dont 'la circonférence est partout et le centre nulle part'?

Je suis du parti de la modération en toutes choses aussi conçois-je qu'une ville ou qu'un pays ne puisse devenir l'arche du déluge; mais il faut dire que le droit d'asile est un fossile monothéiste dont nous ne pouvons nous défaire, en pensée comme en actes, sans payer la maltôte exorbitante de notre indifférence à autrui. Il faut se rappeler que la généalogie des villes franches est plus ancienne encore, qu'elle affleure chez certains penseurs pré-socratiques, que Ciceron l'évoque et Saint-Paul la sécularise. Jacques Derrida la remit au goût du jour à la fin des années 90 en l'étendant aux écrivains persécutés, mais elle existait déjà chez Kant dans son texte portant sur la Paix Perpétuelle - à l'état de vestige médiéval puis de concept aux arêtes acérées une fois soumis à l'abrasion de sa logique-.

Alors voilà, Palo Alto est l'inverse de la ville-refuge; c'est une ville-sommet où l'on parvient per angusta ad augusta, puis où il est admis de reposer en équilibre instable. Voilà d'où vient que domine la peur de classe, tellement visible dans ces lois obsidionales, et voilà d'où vient qu'à Paris, à Londres, à Palo Alto, il soit devenu impératif - pour notre confort mais surtout pour notre malheur - de ne pas voir, ni à l'école, ni dans la rue, ni au travail, celui que nous pouvons devenir.

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